Synthèse de l’ approche théorique et clinique de Jean Benjamin Stora utilisant des extraits des chapitres 5 et 6 d' ANTONIO R. DAMASIO
« LE SENTIMENT DE SOI, CORPS, EMOTIONS ,CONSCIENCE » Ed. Odile Jacob 1999.
Grâce aux contributions importantes des travaux de neurosciences des 20 dernières années, nous pouvons à présent nous y référer pour construire un nouveau modèle dans notre discipline : la psychosomatique intégrative.
Dans l'ensemble des contributions scientifiques des neurosciences, j'ai préféré privilégier celles du professeur Antonio Damasio. J'ai articulé dans le nouveau modèle de psychosomatique intégrative que j'ai élaboré, les contributions du professeur Damasio et celles du modèle de la métapsychologie psychosomatique.
La recherche de Damasio a consisté dans un premier temps à répondre à la question de l'existence de la conscience dans les êtres vivants.
Il s'agissait pour élucider la biologie de la conscience, de découvrir comment le cerveau peut construire des configurations neuronales qui correspondent aux relations que l'organisme établit avec un objet.
Le problème de la représentation de l'objet paraît moins problématique que celui de la représentation de l'organisme. Les neurosciences ont consenti des efforts considérables pour comprendre la base neuronale de la représentation des objets. Des études poussées sur la perception, l'apprentissage et la mémoire, ainsi que sur le langage, nous ont donné une idée exploitable de la manière dont le cerveau traite un objet, en termes moteurs et sensoriels, et une idée de la manière dont la connaissance relative à un objet peut être stockée en mémoire, catégorisée en termes conceptuels ou linguistiques, et récupérée sur le mode du rappel ou de la récognition. L'objet se manifeste, sous la forme de configurations neuronales, dans les cortex sensoriels qui conviennent à sa nature. Par exemple, dans le cas des aspects visuels d'un objet, les configurations neuronales sont construites dans toute une série de régions des cortex visuels, pas seulement une ou deux, mais toute une quantité, qui travaille de concert pour cartographier les divers aspects de l'objet en termes visuels.
Du côté de l'organisme, toutefois, les choses sont différentes. Bien qu'on sache beaucoup de choses sur la manière dont l'organisme est représenté dans le cerveau, l'idée selon laquelle de telles représentations pourraient être liées à l'esprit et à la notion de Soi a peu retenu l'attention. La question de savoir ce qui pourrait donner au cerveau un moyen naturel d'engendrer la référence singulière et stable que nous appelons Soi est restée sans réponse.
Mots clés : anorexie mentale – Fibromyalgie – Douleurs intenses.
I.2.2. Modèles neurobiologiques. [4 ;14 ;15 ; 22 ; 36 ; 54]
Au cours des dernières décennies, un nombre important de neuromédiateurs impliqués dans la régulation du comportement alimentaire ont été identifiés, posant la question d’une vulnérabilité neurobiologique aux troubles des conduites alimentaires (TCA). L’interprétation des modifications observées chez les patientes présentant des TCA ne relève pas d’une explication univoque et ces anomalies pourraient être consécutives à la restriction alimentaire, ou constituer des traits précédant la maladie et contribuant à une éventuelle vulnérabilité neurobiologique.
L’information du système nerveux central sur l’équilibre énergétique de l’organisme provient pour une partie de la sécrétion d’hormones qui vont activer les voies neuronales hypothalamiques (liées aussi à la sexualité, à la mémoire, à l’intégration des émotions, des images, des perceptions du corps). Les différentes structures hypothalamiques impliquées sont l’hypothalamus latéral, le noyau arqué (qui occupe le plancher de l’hypothalamus ; il est localisé dans une région privilégiée par sa proximité avec la cavité ventriculaire et l’éminence médiane parcourue par un système capillaire porte qui met directement en communication vasculaire l’hypothalamus et l’hypophyse antérieur), et le noyau paraventriculaire (ou zone périventriculaire de l’hypothalamus. On retrouve au niveau de ces noyaux hypothalamiques des populations neuronales impliquées dans les voies de régulation physiologique de l’alimentation : les neurones à pro-opio-mélano-cortine (POMC) sont des voies qui diminuent l’appétit (anorexigènes) tandis que les neurones à neuropeptide Y et Agouti gene-Related (AgRP) sont des voies qui stimulent la prise alimentaire (orexigènes). De manière schématique, on peut distinguer les théories étiologiques périphériques et centrales en fonction des peptides impliqués.
I.2.2.1. Modèle périphérique.
Dans ce cadre, les médiateurs impliqués sont des hormones sécrétées par les tissus périphériques (notamment le tractus digestif et le tissu adipeux) qui vont informer le système nerveux de l’état de réplétion ou de vacuité gastrique ainsi que de l’état de la balance énergétique. On distingue des hormones anorexigènes (insuline, leptine, cholécystokinine,...) et orexigènes (ghréline, cortisol,...). La leptine, hormone de la satiété, sécrétée par les adipocytes, inhibe la prise alimentaire et augmente la dépense énergétique en interagissant avec les récepteurs spécifiques de l’hypothalamus. Elle active la synthèse de molécules inhibant l’appétit (POMC et dérivés) et inhibe la synthèse de molécules impliquées dans les voies orexigènes (NPY, AgRP, galanine, orexine A et B). La ghréline, sécrétée par la muqueuse gastrique quand l’estomac est vide, provoque la sensation de faim par un mécanisme inverse de celui de la leptine, en stimulant les voies orexigènes et en ihnibant les voies anorexigènes de l’hypothalamus ventral.
Dans l’anorexie mentale, on observe une chute du taux de leptine plasmatique, corrélé au pourcentage de masse grasse, et une élévation de la ghréline ; ces variations correspondent à une adaptation physiologique de l’organisme au jeûne. Certains auteurs ont évoqué une résistance ou une mutation des récepteurs à la ghréline pour expliquer l’absence d’effet orexigène de l’élévation de la ghréline dans l’anorexie mentale.
I.2.2.2. Modèle central.
Dans ce cadre, la conduite alimentaire résulterait d’un dysfonctionnement des neuromédiateurs impliqués dans les voies orexigènes et anorexigènes hypothalamiques.
La sérotonine est le neuromédiateur dont le rôle dans la régulation du poids est le mieux connu à l’heure actuelle. Elle diminue les ingestats alimentaires par un ensemble dephénomènes sélectifs sur la prise alimentaire. Son agoniste a une action orexigène. Elle agit au niveau de l’hypothalamus médian en diminuant la prise alimentaire, en particulier des hydrates de carbone. Les patientes anorexiques ont une réduction significative d’un métabolite de la sérotonine dans le liquide cérébrospinal suggérant une réduction de l’activité sérotoninergique.
La projection dopaminergique issue de l’aire tegmentale ventrale, passant par l’hypothalamus latéral, et innervant le cerveau antérieur dont essentiellement le noyau accumbens, joue un rôle dans la quête du désir de récompense et est donc impliquée dans les processus motivationnels. Le désir de récompense apparait donc comme un stimulus motivationnel dissociable du plaisir qu’il est susceptible de procurer. Chez les anorexiques, ce système dopaminergique mésolimbique pourrait être modifié...
Des dysfonctionnements d’autres systèmes de neurotransmetteurs impliqués dans le contrôle central de l’alimentation ont également été évoqués. Pourtant, l’impact de ces neurotransmetteurs dans les TCA doit être articulé avec l’effet des neuropeptides sécrétés précédemment décrits au niveau du système nerveux central.
Les techniques d’imagerie cérébrale mettent en évidence des anomalies morphologiques cérébrales. Ces anomalies sont principalement corticales et majoritairement réversibles. Malgré une relative normalisation de l’atrophie corticale après la reprise de poids, une proportion importante de patients continuent à présenter des anomalies des ventricules cérébraux. Si les réductions de volume de la matière blanche semblent se résorber, celles de la matière grise persiste, et ce, même 2 à 3 ans après un retour à un poids normal. Ces résultats partiels sur un faible échantillon suggèrent que les différentes altérations cérébrales structurelles se résorbent à des degrés divers selon les structures et pas de la même manière en fonction du temps.
Les études en neuro-imagerie fonctionnelle révèlent par ailleurs des anomalies du métabolisme énergétique cérébral avec un hypométabolisme frontal inférieur et temporal chez les patientes anorexiques par rapport aux boulimiques et une diminution plus marquée de l’activité dans les régions préfrontales et cingulaires antérieures chez les anorexiques restrictives. L’activité sérotoninergique et le fonctionnement du lobe frontal sont impliqués dans les attitudes de contrôle comme les traits obsessionnels et l’impulsivité, les comportements agressifs. Les dysfonctionnements sérotoninergiques, incluant le cortex orbito-frontal, pourraient être à l’origine d’une vulnérabilité à un contrôle peu modulé et imprécis du comportement.